L’addiction alimentaire, un manque d’estime de soi ou carrément un manque de soi ?

Dans la vidéo ci-jointe, extraite d’un groupe de psychothérapie à distance dont les participants ont tous une addiction alimentaire, une femme boulimique rebondit aux propos d’une participante qui se plaint de parler comme un bébé.

« Je ne parle pas comme un bébé », dit-elle « mais j’ai un manque d’estime de moi parce que je ne peux rien faire sans demander à quelqu’un si ce que je fais est bien. » Elle a 35 ans et deux enfants. Architecte, elle a monté son entreprise qui marche si bien qu’elle a besoin d’une équipe de 8 personnes pour les projets qu’on lui confie.

Etudiante, elle gagnait le premier prix de tous les concours d’architecture auxquels elle participait. Mais bien qu’elle soit surdouée dans son métier, elle se comporte dans la vie privée comme une petite fille qui ressent toujours le besoin d’être assistée.

A la suite d’une étude réalisée en 2003 par une équipe de psychiatres de Sainte
Anne dirigée par le Professeur Guelfi il apparait  que 85% des personnes souffrant
de TCA  manquent d’estime de soi. [1] De ce fait, les psychothérapeutes utilisent la
thérapie cognitive dans l’addiction alimentaire pour mettre les personnes en situation
d’acquérir de l’estime de soi. Or, pour travailler à gagner de l’estime de soi il est
nécessaire d’avoir d’abord un soi. Et la réalité clinique montre que si les personnes
souffrant de TCA manquent d’estime de soi, c’est avant tout parce qu’elles n’ont pas
de soi, et que la thérapie appropriée doit travailler à cette construction d’un soi avant
de travailler à en acquérir de l’estime.

La psychanalyste anglo saxonne, Joyce Mc Dougall [2] , qui fut la première à importer en France le mot « addiction » pour rendre compte d’un comportement qui tient la personne en esclavage, a écrit un article dans laquelle elle reconnait chez les
personnes qui ont une addiction des angoisses très archaïques, de type psychotique
comme si les personnes dont elle parle dans son article n’avaient pas encore de soi.

A noter que les trois exemples cliniques dont elle illustre son article concernent des
personnes qui ont une addiction alimentaire.
Enfin, le psychiatre psychanalyste Boris Cyrulnik [3] , qui a participé à de nombreuses recherches récentes en neurosciences, reprend une hypothèse qu’avait soulevée le psychanalyste pédiatre Winnicott (à l’époque de Freud) expliquant que les bébés qui étaient insuffisamment sécures ne pouvaient pas développer leur propre identité. Un sentiment d’insécurité chez le nourrisson, que Winnicott attribuait à une « insuffisamment bonne mère » mais à propos duquel Boris Cyrulnik, lui, attribue l’hypersensibilité du bébé au fait d’être, dès sa naissance, un « petit transporteur de sérotonine ».

« Si on secrète beaucoup de sérotonine, on est autonome, on est paisible, on est
tranquille. Et si on secrète peu de sérotonine, on a des émotions pour un rien, on
sursaute à chaque fois qu'on a une émotion. » Selon Boris Cyrulnik, si parle
gentiment à ces personnes, elles pleurent. Si on les gronde elles pleurent, si on leur
offre un bouquet de fleurs, elles pleurent. Elles sont hypersensibles à tout le monde
et pour elles tout est un événement.
En tant que psychologue clinicienne accompagnant des personnes boulimiques
depuis déjà 40 ans je reconnais ce trait de personnalité chez tous les participants à
mes groupes de thérapie. Je fais l'hypothèse que ce trait de personnalité vient de la toute petite enfance. Le bébé se sent tellement insécure qu'il est plus préoccupé à rester accroché à sa personne nourricière qu'a développer sa propre personnalité.

Ainsi quand il sera adulte, il n'aura pas sa propre identité mais il aura une sorte
d'identité « paravent » pour cacher son vide intérieur, dans le but de se faire une place parmi les autres. La métaphore qui me vient souvent, est que quand on a
l'impression de se noyer, on ne prend pas la précaution de regarder le paysage.
Mais rien n'est perdu, surtout quand on fait une psychothérapie de groupe, parce que le groupe c'est le paysage, qu’on ne peut pas ne pas regarder. Le fait d'interférer avec les autres avec authenticité fait émerger tout un tas d'émotions qui permettent à la personne de se découvrir telle qu’elle est et d’expérimenter son être au monde face aux autres. Le groupe pour ces personnes est la psychothérapie idéale parce qu’il permet de construire enfin un soi dans un premier temps, puis de l'estime de soi au fur et à mesure que la personne se sent exister dans sa peau, dans sa vie et face à l’autre.

[1] Estime de soi : patients avec troubles de conduites alimentaires et phobiques sociaux – 17/02/08 Doi : ENC-2-2003-29-1-0013-7006-101019-ART5 R. EIBER [1], L. VERA [1], C. MIRABEL-SARRON [1],
J.-D. GUELFI [1] Vol 29 – N° 1 P. 35-41 – février 2003

[2] L'économie psychique de l'addiction, Joyce McDougall Dans Revue française de psychanalyse 2004/2 (Vol. 68), pages 511 à 527

[3] Boris Cyrulnik est un neuropsychiatre français connu pour avoir fait redécouvrir la psychanalyse en France et pour avoir vulgarisé, dans ses livres notamment, le concept de résilience. Ces ouvrages sur la capacité de l'humain à se reconstruire après les malheurs de la vie l'on fait devenir le psy préféré des Français.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *