Psychothérapie individuelle

Quand j’ai voulu faire un documentaire plus récent que celui que j’avais fait en 1997 pour partager mon regard de psychologue sur l’addiction alimentaire, « boulimie et thérapie » certains de mes ex participants de groupe m’ont dit : « Tu peux compter sur moi, je participe ».

Ils sont venus, certains de loin. Eux-mêmes ont voulu ne pas être flouté pour parler, avec du recul, d’un problème dont ils avaient jadis tellement honte. Après vous avez essayé d’autres psychothérapies, généralement individuelles, pour se débarrasser de leur boulimie, ils ont réussi par cette approche en groupe centré sur les problèmes d’identité et relationnels. La boulimie est partie sans effort et ils ne sont même plus obsédés par l’alimentation.

Cette jeune femme qui s’exprime dans la vidéo ci-dessous est elle même psychologue. Elle explique très bien ce que cette approche intensive en groupe lui a apporté.

Elle intellectualisait trop en psychothérapie individuelle. Voici le texte de son témoignage  :

« – Journaliste : Vous êtes psychologue ; en quoi ça vous a aidé dans votre métier ?

– Témoin A : Ça a aidé parce que on apprend beaucoup, en études de psycho, pour comprendre pourquoi la personne en est là aujourd’hui, et on apprend très peu avec ce qu’on a aidé les gens à partir de là à vivre. Vivre avec les autres, à vivre avec eux-mêmes. C’est vrai que j’avais aussi quelques crises de boulimie, mais pas toujours autant que d’autres. Je pense que pour tous les étudiants en psycho, en psychiatrie, qui vont regarder ce documentaire que, même si vous n’avez pas de problème individuel, elle va vous aider à comprendre la thérapie de groupe, elle va vous aider à comprendre les autres, à vous comprendre, même si vous vous comprenez bien. Je pense que c’est une chance de venir voir ce qu’il peut se passer pour les autres, et de pouvoir de ce fait, aider à vivre

– Journaliste : et ça vous donne envie de faire votre métier différemment ?

– Témoin A : je le fais maintenant. Ça a répondu à des questions que je me posais. J’ai terminé mon année de psycho mais je ne trouvais pas la réponse à ma question : comment je peux aider les autres. Ce que j’ai appris ici, c’est que je pense que c’est déjà extraordinaire. La thérapie intensive qui se passe en deux jours ça permet de travailler sur le processus qu’on n’a jamais le temps de travailler en une heure de temps avec un psychologue ; c’est impossible de travailler ce qui peut travailler dans le groupe de manière intensive.

– Journaliste : est-ce que vous avez remarqué la différence entre le côté intellectualisation travaillé 1 heure avec un psychologue, et la thérapie émotionnelle intensive travaillait ici ?

– Témoin A : complètement. Face a un psychologue, on peut rester dans l’intellect, c’est assez facile. Mais là, face au groupe, on travaille sur qui on est, 90% de non verbal. On travaille la posture, le rythme, le regard, le ton de la voix, la spontanéité, l’authenticité… tout ce qui passe au travers de notre corps et dans notre discours, qui est inconscient et qui est totalement perçu par l’autre. Moi j’étais là pour l’autre. Ma critique de psy me permettait de ne pas être dans la relation. J’étais tout le temps psy. Quand je suis au bureau je suis psy ; en dehors du bureau je suis moi. Maintenant, j’arrive à dire ce que je pense, ce que je ressens. Avant ça n’était pas possible. »

La psychothérapie individuelle, un placebo ou une libération?

Que peut-elle apporter précisément ? Que peut-elle apporter à une personne qui ne peut pas vivre sans une addiction ?

La psychothérapie individuelle fait toujours hésiter :

« Que peut faire une psychothérapie individuelle pour moi dans la mesure où j’ai de bonnes raisons d’aller mal ? »

Ou au contraire :

« Que peut faire une psychothérapie pour moi quand, à part mon addiction, tout va bien dans ma vie, TOUT MAIS TOUT !!! ? »

Ou :

« La psychothérapie individuelle me fera-t-elle comprendre pourquoi je suis éjaculateur précoce ? »

Ou :

« Pourquoi j’ai besoin de manger tout le temps, même quand je n’ai pas faim ? Et en quoi le fait d’avoir compris arrêterait ma boulimie ? »

Psychothérapie individuelle et boulimie, compatibles ?

On peut faire de la psychothérapie individuelle si on a une addiction alimentaire. Mais l’expérience, montre que les psychothérapies individuelles sont beaucoup plus longues et donnent beaucoup moins de résultats que la
psychothérapie de groupe.

Dans un groupe vos dysfonctionnements vous sautent aux yeux. Ne serait-ce qu’en observant ceux des autres. Comme on l’a dit, la question n’est pas de travailler sur son passé mais sur la relation entre soi et les autres, dont le psy. Or, les personnes boulimiques sont tellement immergées dans leur chaos
interne qu’elles ont du mal à prendre l’autre en considération.

Elles ont tendance à ne le regarder qu’au travers de sa « fonction ». Et même si elles perçoivent des choses, elles n’osent souvent pas tout dire et s’enferment
dans des interprétations qui ne leur permettent pas d’entrer dans un vrai lien authentique et respectueux avec l’autre. Peu de psys réussissent en psychothérapie individuelle, à dénouer les gens qui sont trop repliés sur eux-mêmes. On peut néanmoins citer deux exemples.

Quand la psychothérapie individuelle se rapproche de la psychanalyse

Le premier exemple n’est pas d’aujourd’hui puisque il s’agissait du psychanalyste vivant du temps de Freud qui s’appelait Ferenczi. Parmi ces patients il y avait une femme pour laquelle il n’avait pas de sympathie. Alors, supposant que ça pouvait porter tort à cette femme, il a redoublé d’efforts pour que ça ne se voit pas. Au point que sa patiente a fini par croire qu’il était amoureux d’elle. La voyant engluée dans une interprétation qui n’était
pas du tout la réalité, passionné par son métier qui était, avant tout, de mettre les gens face à la réalité, il lui a tout dit. Que c’était tout le contraire, qu’il avait du mal à avoir de la sympathie pour elle pour telle et telle raison, et
qu’à force de vouloir le lui cacher, ça l’a amenée à fantasmer une situation qui n’était pas réelle. Cette patiente devait être très intelligente parce que, malgré tout, elle est restée, et sa psychanalyse a fait des progrès fabuleux.
Au point que Ferenczi a adopté ce style analytique et l’a modélisé pour tous les autres patients. Il a même donné un nom à sa méthode: « l’analyse mutuelle».

Cet exemple est très intéressant parce qu’il montre qu’on progresse
beaucoup plus dans une démarche psychothérapeutique où analytique quand chacun des deux en présence est authentique et « montre ses cartes ».

Un autre psychanalyste, qui s’appelle Winnicott, a partagé ce qu’il ressentait à l’issue d’une séance. Sa patiente était très malheureuse et elle s’était roulée en boule, en larmes, sur le divan, emmitouflée dans une couverture, un peu comme un foetus qui cherche la meilleure position dans le ventre de maman. Winnicott avait une posture très psychanalytique, qui pourrait servir de modèle à la psychothérapie individuelle. Il était un des meilleurs psychanalystes parce qu’il était aussi pédiatre. Il savait comprendre les adultes avec ce qu’ils avaient encore de très archaïque en eux. Si sa posture était très psychanalytique, c’est parce qu’il n’a pas dit un mot pendant toute la séance tant que la jeune femme a pleuré. Par contre, quand la séance s’est terminée, que la jeune fille s’est
levée, il lui a juste dit : « Vous n’avez pas beaucoup tenu compte de moi pendant cette séance ». Ce qui voulait lui dire, en fait, que l’autre ne compte pas pour elle quand elle est malheureuse. Un psy n’est pas qu’une fonction,
c’est aussi un être humain avec sa sensibilité. Et le but d’un travail sur soi est d’apprendre à cohabiter harmonieusement non seulement avec soi-même , mais aussi avec les autres, sans conflits destructeurs.

Les avantages de la psychothérapie individuelle chez la personne boulimique

La psychothérapie individuelle chez une personne boulimique anorexique où hyperphagique peut lui apporter beaucoup surtout si celle-ci est menée comme une vraie relation entre deux personnes. Même si dans la vie professionnelle ces personnes souvent brillamment réussir, dans la vie intime par contre, celles et ceux qui ne peuvent pas vivre sans une addiction sont souvent des gens qui sont très repliés sur eux-mêmes et qui ne sont pas capables de prendre l’autre réellement en considération. Soit l’autre est mauvais parce qu’il ne pense pas comme eux, soit l’autre est génial parce qu’il réussit à faire ce qu’ils ne savent pas faire. Soit il est nul parce qu’il ne répond pas à leurs attentes. Soit il faut s’accrocher à lui parce que on ne se sent pas capable de cheminer tout seul.

Les inconvénients de la psychothérapie individuelle chez la personne boulimique

Il est vrai semblable qu’une psychothérapie ne donne pas de bons résultats lorsqu’on ne comprend pas le mécanisme de la souffrance dont est atteint le patient. Par exemple, si on veut aborder le problème en aidant une personne boulimique à gérer ses symptômes alimentaires, même si on croit bien faire, Il est probable qu’on nuisible pour cette personne parce qu’elle ne réussira pas longtemps à contrôler son alimentation et se sentira vite en situation d’échec.

Un autre inconvénient de la psychothérapie individuelle ou de groupe avec une personne boulimique serait de ne pas chercher l’authenticité de la relation d’un côté comme de l’autre, c’est-à-dire du côté du patient comme du côté du psy. Vouloir être gentil avec une personne boulimique parce qu’elle souffre énormément, ne pas lui faire remarquer ses dysfonctionnements relationnels en se disant que ce n’est pas le moment, probablement dans le but de la protéger, rester neutre, très à distance, et quasiment muet pendant toute la séance, voilà des comportements qui peuvent être nuisibles avec des personnes boulimiques qui sont hypersensibles et qui ont, encore une fois, besoin d’apprendre l’authenticité de la relation avec l’autre sans jouer un rôle et en prenant conscience de leurs fausses interprétations.

Psychothérapie individuelle ou psychothérapie de groupe pour la boulimie ?

Même si les deux approches sont possibles, psychothérapie individuelle et psychothérapie de groupe, elles ne sont intéressantes, pour une personne boulimique, que si elles lui apprennent à sortir d’elle-même pour entrer en relation avec l’autre. On sait que le bébé, pour commencer à avoir confiance en lui-même, a besoin de commencer par avoir confiance en sa mère. C’est ce que Boris Cyrulnik appelle une mère suffisamment sécure. (Il est bon de préciser qu’on peut être une mère tout à fait attentive à son bébé et en même temps être ressentie comme insécure par l’enfant lorsqu’il est hypersensible.)

Il est vraisemblable que les personnes boulimiques soient hypersensibles dès la naissance. Cela peut très bien ne pas se ressentir jusqu’à l’adolescence, quand tout se passe bien entre les parents et les enfants, quand le milieu affectif est plutôt paisible et doux. Mais tout peut changer à l’adolescence. La raison pour laquelle une personne a alors besoin de fuir dans une addiction est qu’elle ressent un chaos intérieur, dû à une angoisse profonde liée non seulement à un manque d’estime de soi mais carrément à un manque de soi.

Dans une psychothérapie de groupe, contrairement à une psychothérapie individuelle, grâce au contact avec les autres, grâce aux rencontres authentiques qu’on apprend à vivre sans conflit, le cheminement est bien plus rapide et efficace dans la mesure où il y a un grand nombre de participants avec qui s’exercer à devenir authentiquement soi-même et à le faire dans la douceur, sans conflit inutile. C’est cet apprentissage, les exercices répétés, la capacité à rentrer en relation avec l’autre tout en étant authentique et sans le déranger pour autant, c’est cela qui permettra d’échapper au chaos intérieur en gagnant un sentiment d’identité, avec, en plus, cette fameuse estime de soi qui permettra de ne plus avoir besoin d’une addiction pour vivre.